Timothée de Fombelle

La passion du chant



L'entretien par Gaëlle Farre

Librairie Maupetit (Marseille)

Georgia est un formidable conte musical dans lequel une toute jeune fille va se révéler grâce à la musique et le chant. Réunissant un casting d’exception, il est impossible de résister à cette histoire envoûtante, parole de libraire.

Page — Timothée de Fombelle, comment est née Georgia et par là même ce projet musical d’envergure ?
Timothée de Fombelle — Il arrive qu’on frappe à ma porte pour trouver des histoires et je suis toujours surpris de me retrouver fournisseur en rêves, comme d’autres font du pain ou des meubles. Cette fois, ce sont les musiciens de l’ensemble Contraste qui sont venus me chercher. Ils voulaient une belle histoire pour faire chanter les artistes qu’ils aiment, mais surtout pour faire rêver les enfants et leurs parents. Je n’ai pas résisté longtemps. Le plaisir et la difficulté d’écrire des chansons, l’admiration pour les grands musiciens qui embarquaient avec moi, sans parler de l’aventure partagée avec Benjamin Chaud, tout cela m’a vite convaincu. Et puis simplement la joie de faire se rejoindre en un seul objet mes passions pour le livre et la scène. J’ai alors pensé à cette petite Georgia qui se met à chanter, aidée par ses rêves et par un jeune violoniste qui vit derrière la cloison de sa chambre.

P. — Nombre de thèmes universels (l’amitié, grandir, la confiance en soi, la mémoire) sont au cœur de Georgia. Que souhaitez-vous faire ressentir ou transmettre à vos lecteurs à travers son histoire ?
T. de F. — Votre question me fait prendre conscience que ces thèmes ne sont pas seulement dans Georgia mais à peu près dans toutes mes histoires. Cette fois, je voulais plus spécialement dire à quel point créer nous fait grandir. C’était déjà le cas dans mon dernier roman, Le Livre de Perle (Gallimard Jeunesse), où revenaient ces mots : « Les histoires nous inventent ». J’écris d’ailleurs toujours avec les mêmes obsessions. C’est ce qui me permet de creuser un peu plus à chaque fois ce sillon qui me passionne. En revanche, j’aime varier la forme que prennent les projets. Le conte musical est un genre dont l’alchimie est assez fascinante. Il regroupe des compétences diverses qui doivent œuvrer dans le même sens. Je crois que dans notre cas, le secret a été de mettre toujours Georgia un peu au-dessus de nos ego de créateurs. C’est un travail de troupe. Chacun laissait de l’espace pour la création des autres.

P. — Que placez-vous derrière les rêves de Georgia (ou quelle symbolique ont-ils), ces êtres qu’elle décrit comme des amis indispensables et envahissants ?
T. de F. — Oui, les rêves peuvent parfois vous mettre un peu en dehors de la vie, quand ils occupent trop de place… Mais je crois surtout qu’ils sont indispensables pour avancer. Toute l’aventure de Georgia consiste à apprivoiser ses rêves pour qu’ils se réalisent. J’ai décidé de faire chanter ces rêves en leur écrivant des chansons. J’avoue qu’il y avait aussi le plaisir de penser que d’autres leur donneraient leur voix et que Benjamin aurait à trouver leur forme ! Georgia était un rêve collectif, alors peut-être que le résultat dépasse un peu chacun de nos rêves.

P. — Benjamin Chaud, comment avez-vous composé l’univers graphique de Georgia ? Avec le texte, les musiques, les deux, par des interactions avec Timothée de Fombelle ?
Benjamin Chaud — Quand j’ai reçu le texte de Timothée, il était encore en cours d’écriture, je l’ai lu et il m’a tout de suite plu. Je suis allé dans un joli café parisien pour dessiner dans mon carnet de croquis les moments qui m’avaient marqué ainsi que mes impressions, les lieux, les personnages, les ambiances, en laissant libre cours à mon imagination et sans chercher à faire des dessins trop définis. Ensuite, l’histoire a évolué. Les personnages se sont précisés et j’ai dû choisir quels « moments » mettre en images. Pendant tout ce temps, j’envoyais mes crayonnés à Timothée et à l’éditeur pour avoir leurs avis. Ce n’est qu’au moment de la mise en couleur que j’ai reçu la musique qui m’a ouvert une autre dimension de l’histoire. Je l’écoutais en boucle en peignant. En plus de beaucoup me plaire et de m’impressionner par sa qualité et la richesse de ses interprètes, elle véhicule des émotions tellement fortes et directes que ça m’a beaucoup aidé à trouver mes ambiances colorées. La musique m’a véritablement porté dans cette dernière étape et donné un second souffle pour finir mon travail.

P. — Illustrer des chansons s’envisage-t-il d’une manière différente qu’illustrer une histoire ?
B. C. — C’est la première fois que j’illustre des chansons et j’ai l’impression que ça m’a permis une plus grande liberté ; d’être moins narratif, moins collé au texte. Quand j’ai constaté que presque toute l’histoire se déroulait dans cette vaste chambre vide, je me suis demandé comment j’allais m’en sortir pour faire des dessins variés. Mais l’idée que cela deviendrait peut-être un spectacle m’a aidé. J’ai imaginé la chambre de Georgia comme une scène dans laquelle on pouvait faire tenir un décor de ville en guerre ou faire pousser un cerisier. Après, je suis quand même assez jaloux des chanteurs et des musiciens qui arrivent à faire passer de telles émotions dans leurs interprétations, j’entends bien que c’est mieux de chanter les chansons que de les illustrer.

P. — J’adore votre représentation du peuple des Rêves de Georgia… Comment avez-vous eu l’idée de les représenter ainsi ?
B. C. — Le monde des rêves de Georgia était un grand espace de liberté au sein de l’histoire. Je pouvais faire à peu près ce que je voulais, parce que personne ne sait à quoi ressemble un rêve, c’est très enthousiasmant et difficile. J’ai essayé d’imaginer comment pouvaient être les petits compagnons imaginaires de Georgia en me souvenant à quoi ressemblaient les miens quand j’avais son âge. Et comme j’ai moi aussi grandi dans les années 1970, je n’ai pas eu besoin de beaucoup me documenter. Je les ai dessinés comme mes peluches, mélangées aux personnages de la série télévisée américaine Sesame Street. J’en voulais des drôles, des fous, des doux et des complètement idiots ; des plus inquiétants ou mélancoliques comme peuvent l’être aussi nos rêves, des bien définis et des n’importe comment : juste des patates, des boules de poils de couleur avec des yeux. Et comme toujours, j’essaie de m’amuser en dessinant, j’ai pris beaucoup de plaisir à représenter cette foule sympathique en train de faire n’importe quoi.

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