Ne pars pas sans moi est un roman sous forme d’échanges de mails entre Bea, qui a pris la fuite, et son frère Ezra, qui résiste dans une famille dysfonctionnelle. Jennifer Niven et David Levithan proposent une tranche de vie pour explorer la force de se reconstruire ensemble contre un monde d’adultes qui n’a fait que décevoir.
Le roman débute quand Ezra contacte Bea. Elle vient de fuguer pour survivre, laissant à regret son petit frère dans un environnement pourri de l’intérieur. Elle n’a laissé aucune explication, aucune trace, aucune adresse, si ce n’est une étrange adresse e-mail. Un lien secret entre ces deux adolescents qui luttent de toutes leurs forces pour rester eux-mêmes, forts, indépendants. Mais comment avoir confiance en soi, se croire digne d’être aimé, quand la honte d’exister, le déni même d’appartenir à une famille sont les seules vérités transmises par une mère dépassée et défaillante ? Ce roman réaliste montre de l’intérieur une famille au sein de laquelle tout peut devenir, d’une seconde à l’autre, le prétexte à un déchaînement de violence, tant physique que psychologique. À travers quelques semaines d’échanges de mails, les auteurs illustrent des personnages en pleine évolution. De la découvertes de soi à l’exploration des secrets de famille, le roman tient ses lecteurs en haleine avec un bon rythme. Bea et Ezra pourront-ils trouver leur place dans ce monde d’adultes qui les a tant malmenés ? Ezra à Bea : « Si ça ne va pas à la maison, ne le dis à personne. La pitié est pire que la douleur, la honte est pire qu’un éventuel soutien. Même s’[ils] te traitent comme de la merde, tu ne peux pas les trahir. Tu dois leur laisser le bénéfice du doute car si ça se trouve, c’est ta faute, tu mérites d’être traité comme ils te traitent. » Au-delà de l’exploration des relations tendues entre les adultes et les deux adolescents – que ce soit le beau-père violent, la mère passive, l’équipe scolaire ou le voisinage qui ferment les yeux –, ce texte illustre surtout l’amour inconditionnel né dans l’adversité qui unit le frère et la sœur. Plusieurs fois, ils se conseillent, se rassurent, se donnent la force de continuer par quelques simples mots, honnêtes, profonds. Par la description tendue des situations de violence, vécues aussi par d’autres personnages secondaires du roman, il nous est rappelé que l’auteur des violences est souvent aussi manipulateur et joue un rôle de parent parfait en dehors du cadre intime, invisible pour la société. En se remémorant certains souvenirs, Bea, sortie du contexte de ces violences, mesure combien cela est intolérable. Ce n’est qu’en changeant de lieu, de cadre, qu’enfin elle respire. La tension permanente de la peur de l’agresseur, membre de la famille, est très bien explorée. Au côté d’Ezra et de Bea, le lecteur ressent la peur, perçoit l’espoir, espère l’amour et la confiance. Finalement, il partage une tranche de vie à leurs côtés. Un roman nécessaire et percutant, complété par un carnet d’adresses et de numéros utiles pour les personnes victimes de violences.