Jean-François Chabas

Vers la Lumière



L'entretien par Madeline Roth

Librairie L'Eau vive (Avignon)

Jean-François Chabas, qu’il situe ses textes ici, ailleurs, aujourd’hui ou hier, a toujours eu à cœur de parler d’humanité. À travers l’histoire de deux sœurs, dont la mère est maltraitée, il raconte ce qu’il faut d’espoir pour grandir, quand tout donne à croire que la vie est dure, injuste, et parfois même insupportable.

L’Arbre et le fruit commence en 1980 par la voix de Jewel Fairhope, qui demande plusieurs fois, affolée : « Où est maman ? ». Quelques lignes plus loin, c’est Grace Fairhope qui devient la narratrice. Le texte entier s’articule autour de ces deux voix, la mère et la fille. Grace est hospitalisée. On devine assez vite pourquoi, même si les mots de cette femme sont retenus. Grace est battue par son mari. Restées à la maison, Jewel et sa petite sœur Esther doivent apprendre à vivre sans leur mère, avec ce père violent, avec la peur, le manque, et les questions sans réponses. Le texte est court, percutant. Il donne une voix à une femme qui n’en a plus, et remet au centre du récit la question de comment vivre son enfance au milieu d’une telle situation. Comment on s’en sort, surtout. Lorsque Grace flanche, c’est Jewel et sa sœur qui affrontent. Et l’on referme le livre avec la conviction d’avoir lu un texte important, nourrissant, comme sait si bien les écrire Jean-François Chabas.

Page — C’est dans les toutes dernières lignes seulement que l’on comprend la signification du titre, L’Arbre et le Fruit. Vous démontez la phrase « le fruit ne tombe jamais loin de l’arbre », pour dire que les filles de Grace se battent pour tomber loin de l’arbre de leurs parents, « rouler bien plus à l’écart, encore ». Est-ce l’idée qui a guidé tout le livre ? Aviez-vous cette fin en tête avant l’écriture ?
Jean-François Chabas — Je n’avais pas en tête une fin précise. L’idée du livre était de démonter le mécanisme qui engendre la violence dans un couple et une famille, et surtout de procurer en quelque sorte un manuel de survie aux jeunes lectrices qui se trouveraient confrontées à cette situation. Également, pourquoi pas, d’apporter un soutien moral aux femmes déjà engagées dans cette horreur, pour leur donner la force de partir avant d’être tuées. C’est un livre prophylactique.

Page — Jewel fait de la boxe, et cela revêt un sens important dans l’histoire. Ce n’est pas la première fois que vous écrivez sur l’importance du sport (La Boxe du grand accomplissement, 2004, J’irai au pays des licornes, 2009, tous deux parus à L’École des Loisirs). C’est une manière pour les personnages de « se battre » dans la vie, contre elle, pour elle ?
J.-F. C. — Pour le sport, et singulièrement les sports de combat, je parle de ce que je connais... C’est un domaine qui m’est familier et très métaphorique. D’autre part, il est extrêmement fréquent que les enfants des foyers violents se tournent vers ces disciplines. C’est de la pure survie... et c’est réellement utile.

Page — La fratrie est souvent essentielle dans vos romans. L’Arbre et le Fruit alterne entre la voix de la mère et celle de sa fille aînée, Jewel. N’avez-vous pas pensé à donner aussi une voix à Esther, la petite sœur de Jewel, qui compte tant pour elle ?
J.-F. C. — Je devais absolument circonscrire le nombre de personnages, car le risque était grand, autrement, de perdre le sentiment d’identification, vital pour ce roman. Aussi me suis-je borné à adopter le point de vue d’une femme battue, et celui d’une adolescente qui refuse ce sort épouvantable.

Page — « Souvent, j’ai l’impression qu’à 15 ans je sais tout ce qu’il y a à savoir du monde. Qu’il est dur, et laid, que rien n’y finit très bien, mais qu’il faut se battre tout de même, surtout si l’on aime quelqu’un. » Finalement, c’est un peu le message de chacun de vos livres, il me semble. En quoi ce livre-là est-il un « combat » de plus pour vous ?
J.-F. C. — Oh, non, mademoiselle, je ne pense pas du tout cela ! Le monde n’est pas toujours laid ! Il y a beaucoup de belles choses, et de belles personnes. Ici, j’aborde un sujet qui me tient à cœur et qui a marqué la plus grande partie de mon enfance et ma jeunesse, d’une façon indélébile. Ce serait une folie de parler légèrement de ces choses. Cette jeune fille – c’est très clairement dit à la fin du roman – va vers la lumière, une lumière qui n’existe pas uniquement dans son esprit. Si le sort nous a fait grandir dans un environnement violent et sale, rien ne nous empêche de nous en extraire. Il faut aussi rencontrer les bonnes personnes, mais cela, n’est-ce pas, c’est en partie le hasard qui le décide. Ce livre veut justement apporter de l’espoir aux êtres qui souffrent. C’était pour moi, dès avant que j’écrive la première ligne, le seul véritable intérêt du récit. On n’est pas condamné à subir, on peut se battre. L’incipit est aussi très clair : « Victimes, désignez aux yeux du monde celui qui tente de vous anéantir. »

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