Dans une société qui sacralise l’écrit, le paradoxe de la lecture, c’est que l’on peut savoir lire sans aimer lire. Dès lors, comment accéder au plaisir de lire ? Doit-on seulement le rechercher ? Peut-être s’agit-il de « fréquenter » les livres selon ses envies et de laisser le charme agir.
Lorsque des parents parlent de leurs enfants, il n’est pas rare de les entendre comparer leur rapport à la lecture. Tandis que certains sembleront rassurés que leur fils ou fille ait toujours le nez plongé dans un livre, d’autres déploreront que les leurs ne lisent pas ; comme si le plaisir que les enfants prennent à lire était révélateur de leur réussite future. La lecture doit-elle être chargée d’un tel pouvoir et, d’ailleurs, n’y a-t-il pas mille manières de lire avec plaisir ? Depuis quelques mois, le secteur jeunesse de votre librairie s’est enrichi de nombreux ouvrages célébrant le livre et la lecture. Ce sont d’abord des objets de qualité dont l’esthétique a été soignée, montrant ainsi, à l’heure où l’on nous parle de la dématérialisation de la lecture, que l’on a encore besoin de vrais livres, de cette interaction si particulière qui se crée en feuilletant le livre et dans laquelle le lecteur prend une part active. L’autre particularité de ces ouvrages est de mettre en avant que l’accession à la magie du texte nécessite un apprentissage qui passe par l’acquisition de la langue et la prise de conscience de sa capacité à jouer avec les mots. Déchiffrer n’est pas savoir lire Il suffit d’avoir fait cette expérience de lire un texte sans le comprendre pour concevoir qu’un enfant débutant puisse ne pas aimer lire. Pour lui, dont le vocabulaire est encore limité, l’exercice est difficile ; non seulement il doit assembler les syllabes, mais s’il ne connaît pas le mot en question, le sens ne lui sera pas révélé. En illustrant la définition d’une série de mots nouveaux, Des mots globe-trotters (Actes Sud Junior) est un livre qui permet de fixer par l’image le sens d’un mot. Ici, il s’agit de vocables parfois amusants tirés du quotidien, dont l’origine est plus ou moins lointaine dans le temps et dans l’espace, permettant de saisir comment la langue s’enrichit à la rencontre des langues. Mais avant que la définition d’un mot ne soit fixée, sa destinée peut prendre bien des directions. C’est l’histoire d’Achime le mot mystère (Hélium), un album sur un terme ancien retrouvé et sur lequel chacun à son avis, tant sur sa définition que sur la catégorie grammaticale à laquelle il appartient. La frénésie de la découverte met en lumière que la mode tient aussi une place dans notre lexique. L’humour du livre repose sur la manière dont les personnages placent « achime » dans leur phrase, laissant au lecteur supposer le sens qu’ils lui donnent. Puisqu’il demeure une incertitude sur la signification du mot, on comprend de manière concrète que savoir lire passe par une compréhension du vocabulaire et que cette maîtrise permet ensuite de manipuler la langue à son tour. Jouer avec les mots La prise de conscience de sa capacité à jouer avec les mots est une preuve assez jouissive de sa maîtrise de la langue pour un lecteur. Remue-méninges (Albin Michel Jeunesse) offre un grand nombre d’exemples de la manière dont on peut s’amuser avec la plasticité de la langue : charades, énigmes, virelangues, contrepèteries, etc. La grande fantaisie du livre vient aussi des illustrations qui confèrent aux jeux de mots un humour absurde délicieux. Encore plus savoureux, Les Animaux manient les mots (Hélium) est un livre qui propose une définition illustrée par l’exemple de ces jeux langagiers. Le parti pris des auteurs est d’utiliser un bestiaire pour servir leur propos. Il règne une ambiance de folie douce à l’intérieur de ce grand album que l’on ne se lasse pas de feuilleter. Le plaisir tient aussi à la typographie et aux couleurs donnant l’impression que le livre éclate à la manière d’un feu d’artifice. Chaque double page provoque la surprise et l’enthousiasme jusqu’à donner envie de produire soi-même des jeux de mots. Amis mots et faux amis (Le Rouergue) met en scène de courts poèmes jouant sur les racines des mots, les homophonies et autres anagrammes dont l’illustration originale donne un caractère complètement décalé au livre. Jouer avec les mots peut donc être une voie d’accès au plaisir de lire qui, en désacralisant la forme écrite, la rend vivante et à portée du lecteur, quel qu’il soit. Dès lors acteur de sa pratique de la lecture, il peut découvrir la magie des textes. Le pouvoir inégalé de la lecture Vive les livres! (Gallimard Jeunesse) pour les plus petits et Si j’étais un livre (La Joie de lire) sont des albums qui célèbrent la lecture. Ils montrent que le livre est non seulement un objet démocratique puisque l’on en trouve pour tous les goûts, mais aussi une source de liberté. En lisant, on peut ressentir une palette infinie de sentiments. Enfin, ces livres mettent en avant la manière dont la lecture favorise la rencontre de l’autre : on peut partager des textes ou découvrir des voix venues d’un autre lieu et d’un autre temps. Si lire nous révèle parfois la petite voix qui nous habite, c’est aussi un moyen de comprendre le monde dans lequel on vit et de faire de l’individu que nous sommes un citoyen avisé. Gageons qu’à la découverte de tels livres, les adultes regarderont différemment le rapport qu’entretiennent leurs enfants avec la lecture. Ils déplaceront l’enjeu de réussite sociale parce que la lecture ne peut être un but en soi. Elle doit s’exercer dans la liberté et à son rythme. L’important est de proposer l’accès aux livres dès le plus jeune âge et sans jamais s’arrêter. Peu importe les livres : illustrés ou non, drôles ou difficiles, chacun puisera selon son intérêt du moment et à son rythme. Ce qui est certain, c’est qu’à mesure que le plaisir viendra, ces apprentis lecteurs développeront d’autres capacités comme la confiance en soi, la sociabilisation ou encore l’esprit critique. Là sont les clés d’une vie réussie bien plus qu’une scolarité couronnée de succès.