Perrault, Andersen, les frères Grimm, Jeanne-Marie Leprince de Beaumont et sa Belle et la Bête : leurs histoires de princesses et de princes, d’ogres et de fées continuent de laisser leur trace sur chaque nouvelle génération. Et si une toute petite inversion venait en proposer une complète réécriture ?
C’est l’exercice auquel se sont essayés Karrie Fransman et son mari Jonathan Plackett : sur une sélection de contes classiques, remplacer par algorithme le il par elle, le elle par il. Le résultat est alors bien plus impactant qu’on pourrait le croire et chaque conte revisité s’en retrouve chamboulé. En effet, les contes classiques sont incontestablement marqués par l’époque qui les a vu naître : ils véhiculent un ensemble de valeurs morales et de recommandations sociales propres à éduquer les populations d’alors. Si la traversée des siècles témoigne de leur universalité, il n’en demeure pas moins que certaines idées demeurent datées, figées dans des textes considérés comme immuables. L’inversion proposée par Fransman et Plackett donne un vif coup de plumeau à ces représentations classiques, apportant un renouveau bienvenu à ces récits multi-centenaires. Puisque féminin et masculin sont inversés, les héroïnes d’antan font preuve de courage et d’initiative, les héros de douceur et de sensibilité. Les femmes deviennent tantôt cheffes politiques ou maîtresses de famille, laissant leurs maris en sécurité à la maison, tantôt ogresse cruelle et louve affamée. Quant aux hommes, il leur vient des envies de parentalité, développent la magie des fées, deviennent d’acariâtres beaux-pères. Le résultat de cette inversion des pôles n’est pas une transposition binaire mais bien un effacement des frontières strictes du masculin et du féminin, d’une ouverture des possibles dans un pays de contes où, déjà, le merveilleux permet beaucoup : d’un coup de baguette algorithmique, femmes et hommes peuvent désormais tout être, tout faire. Malgré l’échange des marqueurs de genre, les textes demeurent au plus proche de leurs versions originales, renforçant le décalage qui s’opère : le lectorat chez qui ces représentations sont ancrées, autant par de multiples lectures que par les adaptations audiovisuelles qui en ont été faites, questionne soudain les images qu’il a toujours connues. C’est ainsi que les nombreuses illustrations de Karrie Fransman complètent judicieusement le texte : vivantes et colorées, fourmillantes de détails, elles montrent des princesses en armure et des princes en habits délicats, une Bête en belle robe et un Raiponce à la longue barbe dorée. Avec ces réécritures, Fransman et Plackett enrichissent les contes classiques d’une nouvelle part de merveilleux où les possibles dépassent les frontières du genre ; libre alors à chacune et chacun d’y puiser de quoi bâtir son propre monde !