Dans son nouveau roman, l’auteur nous entraîne avec son héros, Théo, à la recherche de son père au cœur du monde des sans domicile fixe. De son écriture magique, d’une sobriété tout en retenue, Ahmed Kalouaz trace les portraits inoubliables de certains de ceux que la brutalité de nos sociétés rejette.
Le père de Théo était menuisier. Un père dont le garçon appréciait la belle odeur de sciure lorsqu’il rentrait le soir. Ce père rieur, un jour n’a plus été le même. Son visage s’est fermé, son regard est devenu absent, et Théo le trouvait à la maison le soir en rentrant du collège. Et puis la descente, les journées passées au café pour tuer le temps, sortir de la maison, en faisant attention de ne pas passer devant l’atelier fermé. Comme ses collègues, le papa de Théo est resté sur le carreau à la fermeture définitive de l’atelier. Un soir, le père ne rentre pas et les recherches pour le trouver restent vaines. Deux semaines après son départ, un ami de la famille dit l’avoir aperçu en ville, à Grenoble. Sans en parler à sa mère, l’adolescent décide de partir chercher ce père qui, ne supportant plus son oisiveté forcée et le regard de sa femme, a fait le choix de disparaître. Durant trois jours, il se mêle aux sans domicile fixe, espérant trouver un fil qui le conduira sur les traces de celui qu’il refuse d’abandonner. La première chose dont lui parlent les premiers SDF à qui il s’adresse, c’est la maraude, la tournée organisée par des bénévoles toutes les nuits, pour porter réconfort et assistance à ceux qui dorment dehors. Photo de son père à la main, Théo interroge celles et ceux qu’il trouve, seuls ou en groupes. Il prend le temps de s’attarder, d’écouter les récits de leurs vies. Des histoires de vies brisées, de rêves évanouis, de misère sociale, de violence, de chômage et de descentes aux enfers en un rien de temps. Impossible pour le lecteur d’oublier Marius, accusé par un collègue de chantier d’avoir piqué dans la caisse et licencié sur-le-champ, ou encore ces trois travailleurs immigrés, dont la trop maigre retraite ne leur permet pas de trouver un logement. Et puis il y a Irène, la femme à la poussette, la reine de cette cour des miracles, qui ne se sépare jamais de son Scrabble, qui jamais ne boit d’alcool et que tous respectent. Irène, qui raconte à Théo la dureté de vivre dans la rue pour une femme. Le souci de rester discrète pour ne pas attirer l’attention des hommes, de rester propre pour garder sa dignité. Tous lui racontent la violence, l’alcool et l’impossibilité de remonter la pente. De paumés en cabossés de la vie, Théo parcourt la ville de lieux stratégiques en points de rendez-vous des SDF, pour un rendez-vous avec son père. Un rendez-vous dont il ne connaît ni la date ni l’endroit, sans même être certain que ce rendez-vous aura lieu.