Rachel Corenblit nous dessine une fresque familiale magistrale sur plusieurs générations de la famille Diangello, chacun de ses membres nous contant sa façon de faire famille. Et comme souvent chez Rachel Corenblit, l’Histoire tient un rôle important dans le récit : à chaque petite histoire de l’intime, un fait de la grande Histoire est évoqué.
28 avril 1986. Le roman s’ouvre par une déflagration qui touche la famille Diangello. Claudia, l’aînée de deux frères, raconte, du haut de ses 13 ans, la naissance tragique de sa petite sœur. Tragique parce que la mère meurt en couches. Claudia se retrouve alors investie d’une mission de seconde mère pour ses frères et sœur. Mais le 28 avril 1986, c’est aussi Tchernobyl et sa déflagration dans le monde qui se réveille avec sidération. Oui, le nucléaire civil est plus que dangereux, il est mortifère. Luigi, le deuxième de la fratrie, est pizzaiolo le soir du mémorable 12 juillet 1998 (pour ceux qui n’auraient pas suivi, la France gagne cette année-là sa première Coupe du monde de football, qui plus est à domicile !). Il enrage de ne pas pouvoir suivre le match et d’être coincé en solitaire dans sa cuisine. Finalement, cette finale, qui deviendra mythique pour la France entière, ne sera qu’anecdotique pour lui parce qu’en faisant acte de bravoure ce soir-là, sa vie changera à jamais. Septembre 2001. Pierre, le troisième, voit son univers s’effondrer quand il se rend compte que son père a « oublié » de l’inscrire en deuxième année de médecine. En parallèle, les tours du World Trade Center s’effondrent, elles, réellement en direct devant les caméras. 2008. Candice, la petite dernière, avorte alors qu’Obama, candidat pro-avortement, est élu président des États-Unis. La deuxième génération des Diangello n’est pas oubliée à travers Sam et Nine, les enfants de Claudia. Le roman se termine par un flash-back en 1969 : c’est la rencontre entre Catherine et Emilio, le couple originel de la famille, l’année où l’homme aurait fait ses premiers pas sur la lune. La boucle est bouclée. Rachel Corenblit donne ainsi la parole à différents membres de la famille Diangello, à certaines étapes de leur vie, souvent au point de bascule où chacun passe d’un être en devenir à l’adulte qu’il sera. Et chacun d’évoquer ses relations avec les autres membres, les ras-le-bol, les tendresses, les querelles, les jalousies, les liens… Tout ce qui constitue le faire famille. Et comme le privé est politique, l’intime est aussi étroitement lié à l’Histoire : les événements historiques sont des marqueurs du temps dans les vies de chacun et les constituent. Les phrases du livre sont toutes pensées minutieusement et chacune devient ainsi un uppercut, peu importe qui parle. Je laisse le mot de la fin à Claudia. « À 13 ans, on n’est pas gentil, on est plongé dans l’âpreté du monde. On se prend sa réalité en pleine face. »