Biographe de J. M. Barrie et d’Enid Blyton, auteur de deux essais, François Rivière aime la littérature de jeunesse. Une passion qu’il prolonge avec l’édition d’un volume rassemblant neuf œuvres classiques, des textes qui ont gardé un vrai charme et une fraîcheur propres à séduire de nouveaux publics.
La production destinée à la jeunesse n’a cessé de proliférer depuis un siècle, la nouveauté se mêlant à la persistance de véritables classiques heureusement remis au goût du jour. Le romancier, scénariste de BD et critique littéraire François Rivière, enfant du baby boom, a eu la chance d’être associé au formidable essor d’une littérature sur mesure et à la diffusion dans les salles de cinéma de films produits à la seule intention des petits. Avec nostalgie, il nous fait partager ses coups de cœur. De Mon Petit Trott (1897) à Adieu, mes quinze ans (1960), les neuf romans qu’il a rassemblés constituent la crème des œuvres jeunesse. Parmi ces romans, Trois Hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome est un bijou d’humour. Mary Poppins et Les 101 Dalmatiens, connus pour leurs adaptations au cinéma, sont restitués dans leurs versions romanesques originales. Best-sellers de leur époque, tous ces livres se sont imposés par leur valeur littéraire et impriment encore dans notre imaginaire des souvenirs indélébiles.
Page — Enfant de la génération du baby boom, quel était votre rapport aux livres ? Et aujourd’hui, en tant que collectionneur, vous arrive-t-il de replonger dans vos lectures d’enfance ?
Francois Rivière — J’ai commencé par être un auditeur. Ma grand-mère me lisait des livres, même du Dickens, ce qui était assez courageux parce que La Petite Dorrit ou Les Grandes Espérances, ce sont des feuilletons qui duraient des soirs. J’ai aussi lu des albums. Mais mes vrais souvenirs commencent avec des romans d’aventure. Je suis tombé assez vite dans Le Club des cinq. J’ai conservé nombre de livres de mon enfance et de mon adolescence. J’en relis certains, effectivement. Il n’y a pas de raison de ne pas pouvoir relire des livres qui vous ont fasciné, envoûté pendant longtemps. Certaines œuvres ont fini par se graver en moi. Je n’ai jamais vraiment relu Le Club des cinq mais d’autres livres, en revanche, comme Le Mystère du château maudit d’un certain René Duverne, paru dans la « Bibliothèque Rose », aurait pu apparaître dans la sélection. Ou L’Île au trésor évidemment. J’arrivais à me projeter dans les personnages. Ce sont des livres qui font partie de vous.
Page — En proposant chez Robert Laffont une anthologie des chefs-d’œuvre de la littérature de jeunesse, vous avez dû rencontrer des difficultés pour opérer un choix…
F. R. — Cela a été très difficile, il a fallu que j’élague. Je me suis donné comme consigne de créer un panel d’auteurs assez large. Nombre de romans écrits pour les adultes sont devenus des classiques de la littérature enfantine, notamment deux de ma sélection : Trois hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome, un classique de l’humour paru dans les années 1880 en Angleterre, et Mon Petit Trott d’André Lichtenberger, un auteur qu’on a complètement escamoté. J’ai découvert ce livre lors de sa réédition en 1953 dans la « Bibliothèque Rouge et Or », collection qui a alimenté beaucoup de bibliothèques des baby boomers. Après ça, j’y ai mis des livres qui sont surtout connus pour leurs adaptations au cinéma : Mary Poppins de Pamela Travers et Les 101 Dalmatiens de Dodie Smith. S’ajoute à cela un livre reconnu mondialement comme un classique : Émile et les détectives. Son auteur, Erich Kästner, a eu une histoire assez triste. Ses livres ont été brûlés par les nazis. Émile a connu une version cinématographique grâce à Billy Wilder. Quant à Enid Blyton, elle a été massacrée en France par son unique éditeur. J’ai voulu restituer au moins un livre, faisant partie d’une série que j’aime beaucoup, plus consistante que Le Club des cinq ou Le Clan des sept, dans une traduction publiée en Belgique dans les années 1940. Paul Berna, auteur français du très apprécié Cheval sans tête, a remodelé le roman policier pour enfants en France. Un ouvrage qui a connu un succès énorme, complètement oublié aujourd’hui, c’est Adieu, mes quinze ans de Claude Campagne, écrit par un couple. C’est une espèce de Grand Meaulnes pour enfants, un livre très romantique qui mérite d’être lu encore.
Page — La moitié des romans choisis dans cette anthologie ont disparu des rayonnages. Dans votre préface, vous taclez les éditeurs. Les romans scouts souffrent d’une mauvaise considération, tout comme les séries populaires sont victimes des prescripteurs…
F. R. — Je suis sûrement injuste envers les éditeurs, parce que je ne suis pas au courant de tout ce qui se fait. On commence à rééditer, retraduire des textes comme Le Magicien d’Oz. Mon critère n’était pas de prendre des livres qui ont été des best-sellers. Bien souvent, ces livres n’ont que peu de valeurs. Je trouve dommage que certains livres soient éradiqués des bibliothèques pour des raisons techniques ou tactiques. Les éditeurs actuels ont des critères commerciaux. Ces critères existaient mais de manière moins pesante autrefois.
Le roman scout, genre à part entière, a disparu. Le Relais de la chance au roy, pur joyau dans le genre, fait partie de la collection « Signe de piste » animée par des romanciers nostalgiques, quelquefois monarchistes. Elle a fait lire énormément de garçons qui n’étaient pas forcément portés sur la lecture. Jean-Louis Foncine est certainement la plus belle plume de ces auteurs.
Le style n’était pas la préoccupation principale des auteurs de séries comme Fantômette, Michel ou Les Six Compagnons. Mais ces séries ont formé les jeunes lecteurs, leur ont insufflé l’envie de lire. Ce qu’on appelle la mauvaise littérature est un tremplin vers la lecture de livres plus exigeants. On pourrait citer nombre d’auteurs qui ont toujours prôné un amour pour la littérature de genre. Cette littérature a été esquintée par la télévision et l’est encore plus chez des enfants par des choses qui n’ont plus rien à voir avec le livre. Je suis un partisan de la lecture sous toutes ses formes.
Page — Votre anthologie est-elle destinée aux nostalgiques de ces livres-là ou aux jeunes lecteurs de l’époque actuelle ?
F. R. — Mon ambition est un peu compliquée. C’est un livre destiné à être acheté par des adultes. Les livres pour enfants disparaissent, ils sont malmenés, détruits. Je pense que des gens qui ont lu autrefois ces livres et qui ne les ont pas gardés, seront ravis de les retrouver sous cette forme pour les faire lire aux plus jeunes ou pour les relire eux-mêmes. Un adulte, quelqu’un de 60 ans, peut relire ces titres sans aucune honte. C’est la madeleine de Proust. C’est une manière aussi de retrouver une période bénie, une France sans la crise.