Les réseaux sociaux ont fait leur apparition il y a quelques années et font dorénavant partie intégrante de la vie de milliers de personnes connectées jour et nuit. Vincent Villeminot, auteur de la série Instinct (Nathan, 2011), s’empare du sujet et publie Réseau(x), premier volet d’un thriller haletant.
Page — Réseau(x), votre nouveau thriller, se déroule dans un futur très proche où les ados sont hyper-connectés à un nouveau réseau social, le DKB. Qu’est-ce que ce DKB ?
Vincent Villeminot — Le DreamKatcherBook est un réseau social assez classique sur lequel on tchatte, on poste, on publie, on raconte sa vie, on diffuse ses images, on reste « en lien » avec ses « amis ». Bref, un petit frère des médias sociaux bien connus d’aujourd’hui. Mais ce DKB a tout de même deux particularités d’importance : d’une part, il comporte une partie nocturne sur laquelle ceux qui postent ne publient que pour leurs « nightfellows » autorisés et sur laquelle chacun raconte ses nuits, ses rêves et ses cauchemars, vrais, faux, fantasmés, remis en scène. D’autre part, cette partie nocturne ouvre sur un « Sommaire des Rêves » : tous les songes publiés par les utilisateurs du Réseau y sont répertoriés, théoriquement sous anonymat, si bien que chacun peut lire l’ensemble du contenu des nuits. Du coup, sur ce « Sommaire des Rêves », véritable boîte de Pandore en ligne, on poste beaucoup de textes provocateurs, de vidéos déviantes, d’incitations à la violence… voire de crimes filmés comme des cauchemars. Comme le dit l’un des flics qui surveillent le DKB, sa création a ouvert les portes de l’enfer.
Page — L’héroïne de Réseau(x) est une jeune fille de 15 ans, Sixie, qui semble intéresser pas mal de monde sur le DKB. Pouvez-vous nous la présenter ?
V. V. — Sixie a 15 ans au tout début du roman, 16 ensuite. Elle est lycéenne à Bruxelles, passionnée de cinéma et de vidéos, assez brillante, assez seule aussi. Sa sœur aînée Mathilde est son amie la plus intime. Sixie présente la particularité de souffrir de toute la gamme des troubles du sommeil : hallucinations hypnagogiques (avant de s’endormir), terreurs nocturnes, cauchemars hyper-réalistes… Elle se croit hantée et raconte ses nuits sur le DKB. Jusqu’au jour où elle reçoit sur sa page diurne un film qui semble le tournage d’un assassinat réel, suivant un scénario qu’elle avait vécu (et raconté) dans l’un de ses cauchemars. Dès lors, Sixie va progressivement se trouver manipulée par au moins trois groupes de personnes qui, pour des raisons différentes, s’intéressent à ses rêves et à ses prémonitions.
Page — Parmi la dizaine de personnages importants que vous avez créés, il y a Cèsar Diaz, personnage ambigu tout aussi attachant qu’inquiétant. Qui est-il ?
V. V. — Cèsar Diaz, 23 ans, Catalan de Barcelone, est un jeune millionnaire de l’informatique qui profite de sa fortune pour financer un site de jeu, le Play It For Real. Son principe est simple : on s’installe à quelques centaines de joueurs dans le centre-ville d’une capitale européenne et on dispute une partie, en général guerrière, reproduction d’un jeu vidéo grandeur nature… et à l’arme blanche. Évidemment, ces agissements, qui revendiquent la « violence ludo-éducative » et le chaos, lui valent d’être considéré comme un danger pour la sécurité de la plupart des États européens. De ce fait, il est extraordinairement surveillé, espionné, sur les réseaux comme dans le monde réel. L’autre caractéristique de Diaz, c’est qu’il a « inventé » le personnage de Nada#1, officiellement, « souverain au royaume de l’anarchie », ce qui ressemble à un oxymore ; et qu’il a aussi créé une Armée des Clowns noirs qui punit ceux qui s’opposent à ses projets en les ridiculisant. Bref, Diaz est une énigme dangereuse pour tous ceux qui le côtoient ou qu’il contacte : ses amis, son frère, Sixie, les polices européennes… Jamais là où on l’attend, jamais tout à fait sincère, il déroute tout le monde, y compris, je crois, les lecteurs et parfois… l’auteur de ses faits et gestes. Il a pris une place formidable dans le roman, plus grande que je ne l’avais prévue. Et j’en suis ravi.
Page — Vincent Villeminot, êtes-vous vous-même un hyper-connecté, un adepte des réseaux sociaux ?
V. V. — Oui et non. Je passe beaucoup de temps sur Internet, notamment pour préparer mes romans, mais aussi pour suivre l’actualité. En revanche, je n’ai pas de compte Twitter, pas de compte Facebook perso (enfin, si, mais sous pseudo et avec deux seuls amis, ce qui me permet de gérer les pages de mes livres et d’accéder à ce réseau pour voir, comprendre, sentir) et… même pas de téléphone portable ! Ce qui m’intéresse dans les réseaux, ce sont deux choses : d’une part, ils sont un « lieu » où les gens sont connectés entre eux sans forcément se connaître ou le savoir ; d’autre part, ils sont de formidables tréteaux pour la mise en scène de soi, le discours sur soi, le mensonge sur soi… Bref, Réseau(x) est un roman mené par une grosse dizaine de personnages d’âges, de nationalités, d’origines très différentes, tous liés entre eux et dans lequel certains pensent se connaître, mais se trompent, quand d’autres ignorent qu’ils sont liés. Du pain béni pour bâtir un thriller un peu choral, voire même « réticulaire » (à vos dicos) !
Retrouvez un article complémentaire en page 145 de votre revue Page des libraires 161.