Nos étoiles contraires est un roman puissant, le plus abouti de John Green. C’est grâce à son style remarquable qu’il est devenu un auteur à succès en littérature pour les plus de 14 ans. Dans ce texte, John Green met en scène deux adolescents charismatiques, Hazel et Augustus, qui affrontent leurs émotions tout en faisant face à une cruelle réalité : ils sont atteints du cancer. Au fur et à mesure que leurs sentiments évoluent, les deux jeunes gens mettent tout en œuvre pour rencontrer Van Houten, l’auteur d’Une impériale affliction, roman pour lequel Hazel a développé une certaine obsession. Tout comme les personnages, à la fin de cette histoire débordante de vie, on s’interroge sur notre rôle sur terre et dans la vie des gens qui nous entourent. John Green offre un texte en tout point exemplaire, une réflexion sur la maladie et ce qui nous relie à l’existence.
PAGE — J’ai lu que vous avez travaillé auprès d’enfants atteints du cancer. Vous avez aussi perdu une amie, Esther, décédée suite à cette maladie. Avez-vous écrit ce livre pour elle ou pour d’autres raisons ?
John Green — J’ai commencé à écrire ce roman plusieurs années avant de rencontrer Esther, mais je lui ai dédié car je n’aurais jamais pu le finir sans son amour et son amitié. En 2000, j’ai travaillé plusieurs mois dans un hôpital pour enfants, c’est à cette période que j’ai écrit mes premières histoires sur des adolescents malades. Vous avez raison, les gens que j’ai rencontrés dans cet hôpital sont aussi très importants pour ce livre.
P. — Combien de temps vous a-t-il fallu pour écrire ce roman ?
J. G. — Au total il m’aura fallu plus de dix ans, mais entre-temps j’ai aussi écrit plusieurs romans. Je ne cessais d’abandonner et de reprendre l’écriture de cette histoire, en pensant que je ne pourrais jamais capter la complexité des émotions, la colère et l’état d’esprit des personnes malades que j’ai rencontrées et à qui je tenais. Rencontrer Esther en 2009 m’a aidé à voir l’histoire différemment, et c’est ainsi que ce roman a bouleversé ma vie.
P. — Comment avez-vous choisi le titre ?
J. G. — La sélection pour arriver au titre anglais The fault in our stars a été difficile. Il y a eu beaucoup de propositions. Finalement, mon éditeur et moi pensions que la référence à la pièce de Shakespeare, Jules César – « Si nous ne sommes que des subalternes, cher Brutus, la faute en est à nous et non à nos étoiles » –, renvoyait mieux à ce que dit le roman au sujet de la tragédie, du destin et de l’indifférence absolue de l’univers à l’égard des besoins et des désirs de chacun.
P. — C’est votre premier roman dans lequel le personnage principal est une femme. Pourquoi avoir fait ce choix ?
J. G. — Souvent, dans les drames romantiques, un homme aime une femme malade, qui meurt la plupart du temps. Puis l’homme progresse et est transformé par cette rencontre. Il y a une misogynie inhérente à ce type de scénario. J’ai voulu l’inverser. Je suis aussi très gêné par cette convention narrative qui implique que les personnes condamnées n’existent que dans le but de faire évoluer les autres. Cela contribue à les déshumaniser. En fait, les gens malades sont aussi humains que n’importe qui, et la raison de leur existence est aussi compliquée que celle des autres.
P. — Était-il difficile d’écrire du point de vue d’une adolescente (et surtout une adolescente malade) ? Comment y êtes-vous parvenu ?
J. G. — J’aime écrire des romans précisément parce que cela nécessite d’imaginer être quelqu’un d’autre, souvent quelqu’un dont la vie est radicalement différente de la mienne. D’après moi, c’est un des grands plaisirs, non seulement de l’écriture, mais aussi de la lecture : voir le monde à travers les yeux de quelqu’un d’autre. Cela m’a pris plusieurs années avant de trouver la voix de Hazel, et un jour elle est venue naturellement. Je n’ai jamais pensé : « Tiens, j’écris du point de vue d’une adolescente » ou : « Je dois prétendre être une fille mourante ». Je pensais juste écrire du point de vue de Hazel. Cela m’a paru très clair.
P. — Comment expliquez-vous qu’il ne s’agisse pas d’un « livre sur le cancer » quand cela parle d’adolescents atteints d’un cancer (car il est difficile d’expliquer aux lecteurs que la maladie n’est pas le sujet principal du roman) ?
J. G. — À vrai dire, je n’aime pas lire d’histoires dramatiques. Je n’en vois pas l’intérêt. Il y a suffisamment de tristesse dans le monde sans en rajouter en lisant des histoires terriblement tristes. Quand Hazel parle de « livre sur le cancer », elle fait référence à ces romans larmoyants et sentimentaux dans lesquels on cherche à manipuler vos émotions. J’espère vraiment que Nos étoiles contraires n’est pas un de ces livres, mais qu’il est un roman qui explore et, en définitive, représente la vie comme elle est. J’espère que c’est une histoire sur le plaisir de lire, de voyager et de tomber amoureux.
P. — Que pensez-vous des lecteurs qui s’interrogent sur le futur des personnages du livre qu’ils lisent, sur ce qui leur arrive par la suite ?
J. G. — Je pense qu’il est naturel de vouloir connaître la suite, c’est une part inévitable de la lecture. Mes lecteurs me demandent quotidiennement ce qui se passe après la fin de mes romans (surtout pour Qui es-tu Alaska ?, Gallimard, Scripto, 2007) Tout comme Van Houten, je ne pense pas que les auteurs soient qualifiés pour répondre à ces questions. Les livres appartiennent à leurs lecteurs.
P. — Pouvez-vous nous en dire plus sur cet « accord tacite entre l’auteur et le lecteur » dont les personnages parlent dans le roman ?
J. G. — Je crois que les lecteurs ont la responsabilité de donner sa chance à un texte. Ils doivent lire attentivement, s’impliquer et faire preuve d’un maximum d’ouverture d’esprit. Quant à l’auteur, il se doit d’écrire le meilleur roman qu’il puisse écrire, d’offrir dans le texte le plus de récompenses possibles au lecteur attentif, et ainsi la plus riche des lectures.
P. — Chacun de vos personnages principaux ont des passions et hobbies excentriques (les épitaphes dans Qui es-tu Alaska ?, les anagrammes dans Le Théorème des Katherines...) Comment avez-vous eu l’idée de l’obsession de Hazel pour le roman (fictif) Une impériale affliction ?
J. G. — Je voulais que le livre parle du rôle que la littérature joue dans nos vies et du pouvoir qu’elle a de façonner notre vision du monde et de nous réconforter (ou pas). Nous voyons la lecture comme un plaisir. C’est effectivement un plaisir, mais partager des histoires est au centre de l’humanité, c’est une des facultés qui définit le genre humain. Aussi, j’ai voulu que Hazel aime un livre afin qu’elle puisse explorer le potentiel et les limites de la littérature.
P. — Quel passage du roman avez-vous le plus aimé écrire ?
J. G. — J’ai beaucoup aimé écrire les premières pages, parce que j’entendais la voix de Hazel pour la première fois.
P. — De quel roman êtes-vous le plus fier ?
J. G. — Pour être franc, celui-ci.
Retrouvez Nos étoiles contraires sur le blog des éditions Nathan.
Lire aussi l'article de Mélanie Blossier sur Le Théorème des Katherine.
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