« On a 16, 17 ans et on croit que le monde a toujours été tel qu'on l'a connu, qu'il durera toujours. » Avec son dernier roman, 17 ans à jamais, Gaël Aymon nous emporte dans une fresque romanesque et fantastique aux multiples rebondissements. Vous n'oublierez pas de sitôt Marthe, André et Florin.
J'ai été bouleversée par l'histoire de Marthe et André, et par leur serment d'amour qui est le point départ de votre roman. Pouvez-vous nous les présenter ?
Gaël Aymon Marthe et André ont 17 ans quand ils se rencontrent. On est au début de la Première Guerre mondiale et le nord de la France est occupé. Ils sont amoureux. Comme André doit fuir pour échapper aux Allemands, Marthe va lui offrir son reflet. Tant qu'il le gardera auprès de lui, ni la guerre, ni la mort ne pourront les séparer. À partir de ce serment, Marthe a une apparence figée à 17 ans. Le point de départ, c’était vraiment cet amour éternel entre Marthe et André. Je tenais à l'histoire d’un amour invincible, éternel avec cette question qui porte tout le roman : vont-ils se retrouver ?
Marthe doit vivre sans sa propre image : elle fuit les miroirs de peur qu'on découvre son étrange réalité. Un autre personnage, Florin, fuit aussi les miroirs mais pour une autre raison. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi et quel est le lien qui l'unit à Marthe ?
G. A. Florin est un jeune homme de 20 ans qui a été défiguré dans les attentats de 2015. Dans l’hôpital où on le reconstruit, il reçoit la visite d’une jeune femme d’à peu près son âge qui va lui raconter la vie d’une certaine Marthe qui avait 17 ans pendant la Première Guerre mondiale. Le roman qu’on lit, c’est lui qui en est l’auteur. Longtemps, j’ai écrit sans ce personnage et ça ne marchait pas. Quand j’ai trouvé ce double récit, tout devenait fluide. Le personnage de Florin me permettait de donner un ancrage dans l’époque actuelle, ce qui me semblait important. Finalement, il est le prolongement contemporain du personnage de Marthe puisque lui aussi s’est fait voler sa jeunesse et son visage par les attentats, une autre forme de guerre.
On traverse, dans les pas de Marthe, toute l’Histoire du XXe siècle avec un focus plus particulier sur les deux guerres mondiales autour de deux événements particuliers. L’Occupation allemande du nord de la France en 1916, et aussi, pendant la Seconde Guerre mondiale, cette première rafle du Vel’ d’Hiv, la rafle des femmes indésirables. Était-ce pour vous une volonté délibérée de se pencher sur des épisodes moins connus ?
G. A. Je ne les connaissais pas non plus et j’ai dû faire un énorme travail documentaire. Ce n'est pas un roman historique à proprement parler mais il y a une trame historique et je tenais à ce qu’elle soit irréprochable. Je me serais terriblement ennuyé si j’avais eu l’impression de raconter ce que j’ai vu en film ou en série depuis toujours. Ce n'est pas une leçon d'Histoire mais plutôt une manière d'ouvrir une porte sur l’Histoire aux lecteurs et aussi un outil de réflexion sur l’époque actuelle. Je voulais témoigner de cette sensation qui m’habitait, celle de jeunesses volées, comme aujourd’hui encore en Ukraine.
À ce propos, juste avant la Seconde Guerre mondiale, lors d'une soirée mondaine, Marthe se fait la réflexion qu'elle ressent les mêmes frémissements qui avaient précédé la Première Guerre mondiale.
G. A. Malheureusement, ces frémissements que Marthe retrouve en 1916 et 1939, on les retrouve aujourd’hui. J’ai été rattrapé par l’actualité pendant l’écriture. J’ai rencontré des élèves le jour de l’invasion en Ukraine et je leur ai lu le tout premier chapitre. Il y a eu un grand blanc tout à coup : eux comme moi nous sommes sentis complètement rattrapés par l’Histoire, avec l'impression que tout recommençait. Je trouve que l’ouverture à la réflexion sur l’époque actuelle est nécessaire et j’aimerais que mon roman puisse y aider. C’est vraiment l'histoire d’amour éternel entre Marthe et André qui porte tout le roman. Mais les valeurs humanistes que Marthe développe au fil de son histoire, les leçons qu’elle a retenues des remous de l’Histoire et comment Florin, et nous finalement, écoutons cette parole, peuvent ouvrir à quelque chose de positif, de lumineux pour l'époque contemporaine. Même si on traverse beaucoup de choses très dures, il y a toujours des personnages qui tirent vers l’espoir que l’humanité se sauvera elle-même.
Le premier regard échangé par Marthe et André se fait au travers d’un miroir, sous l’œil de soldats. On est en 1916 pendant l’Occupation allemande. Avant que la guerre ne les sépare, Marthe fait à André une promesse « emporte mon reflet, tant que tu le garderas, rien ne nous séparera. » Un serment d'amour qui va tout chambouler. Marthe a désormais 17 ans à jamais. En 2016, Florin est quant à lui une gueule cassée du XXIe siècle : son visage lui a été arraché lors des attentats du Bataclan. Dans l'hôpital où on le reconstruit, il reçoit la visite d'une jeune fille de 17 ans : elle s'appelle Marthe, elle avait 17 ans lors de la Première Guerre mondiale.