Dans un ailleurs où règne la pire des réalités (dictature, violence et misère), David Diop parvient, en conteur hors pair, à échafauder un récit teinté d’espérance et d’humanité, à travers la voix de sa jeune héroïne, Rêve. Il ouvre ainsi la voie à toutes les convocations de l’imaginaire.
Comment vous est venue l’idée du projet d’écriture du Pays de Rêve et pourquoi avez-vous choisi de vous éloigner du roman ?
David Diop La première version du Pays de Rêve est parue dans le journal Les Inrocks qui avait sollicité de plusieurs écrivains, à la veille de l’élection présidentielle de 2022, des textes courts autour de cette question : « de quel pays rêvez-vous ? » M’est venue, je ne sais trop comment, la pensée que je pouvais raconter l’histoire, sous la forme d’un conte, d’une jeune fille prénommée Rêve dont le pays était un enfer qu’elle désirait fuir. Peut-être était-ce parce que j’avais écrit quelques mois auparavant un article pour le New York Times où je déplorais que, partout dans le monde, des migrants meurent sur les routes de l’exil mus par le rêve et l’espoir d’une vie meilleure. Mon article avait été inspiré par le témoignage de Rachid Koraïchi qui a créé à Zarzis, un village tunisien, un cimetière où sont enterrées les dépouilles des migrants naufragés, femmes et hommes, rejetés sur la côte par la mer Méditerranée. Rachid Koraïchi conçoit ce cimetière, qu’il a baptisé « Le jardin de l’Afrique », comme un havre de paix et de beauté, en compensation de toutes les souffrances endurées par les « damnés de la mer » jusqu’à leur mort, en exil. La version publiée par Rageot à destination des jeunes n’a été que très peu modifiée par rapport à la version des Inrocks. J’y ai simplement ajouté quelques petits dialogues pour expliciter les relations complexes entre Rêve et sa grand-mère.
Pourquoi avez-vous choisi la forme universelle du conte allégorique ? S'est-elle imposée car l’ouvrage s'adresse à un lectorat adolescent ou parce qu’elle est en lien avec le sujet traité ?
D. D. Le choix d’un conte allégorique m’est venu du choc provoqué par la lecture des témoignages des migrants, notamment ceux de mineurs non accompagnés. Leurs histoires dépassent l’imagination dans l’horreur. Or je souhaitais écrire un récit sur ce sujet qui ne soit pas un témoignage qui aurait imité le réel et que j’aurais trouvé artificiel à côté des véritables témoignages que j’avais lus. J’ai donc pensé qu’un conte à vocation universelle où les personnages représenteraient des aspirations humaines qui nous animent tous, comme le rêve et l’espérance, serait à même de transmettre au mieux mes émotions sur ce sujet au lecteur.
Comment avez-vous imaginé le personnage pivot de la grand-mère (à la fois central et déroutant dans son évolution) et qu'avez-vous souhaité mettre en lumière à travers elle ?
D. D. J’ai voulu que la grand-mère soit à la fois la protectrice de Rêve et un obstacle à ses aspirations. L’extrême misère peut produire tour à tour, ou en même temps, de l’altruisme et de l’égoïsme. La grand-mère a besoin que Rêve la nourrisse à la fois physiquement et symboliquement. La grand-mère qui joue le rôle protecteur des parents disparus de Rêve a besoin également d’être soutenue et protégée. L’espérance se nourrit de rêves.
Au-delà de la dénonciation des injustices, quel impact sur votre travail en général a produit sur vous l’écriture de ce texte et pouvez-vous envisager une suite à l’histoire de Rêve ?
D. D. L’écriture de ce texte m’a convaincu que la poésie est au fondement de toute littérature. L’écrivain doit s’attacher à orchestrer des surprises de langage dans sa prose et c’est ce travail d’orchestration des mots, si usuels et banals soient-ils, qui lui permet d’atteindre véritablement l’esprit et le cœur des lecteurs. Je n’envisage pas de suite au Pays de Rêve. Aux lecteurs, jeunes et moins jeunes, d’imaginer son destin, de le rêver sombre ou au contraire lumineux.
Ses parents ont été tués par des soldats désœuvrés et Rêve grandit aux côtés de sa grand-mère. Son pays, décharge à ciel ouvert, est rongé par une guerre incessante. Le danger est partout. Elle survit en glanant dans les poubelles, sort la nuit et dissimule sa grande beauté sous des haillons puants. Tout avenir et donc tout espoir est entravé par cette action quotidienne qui consiste à ne pas mourir. Quand elle découvre son unique héritage, deux anneaux d’or que portaient ses parents, trésor jalousement gardé par sa grand-mère, l’espoir d’une vie peut advenir. Un conte comme une main tendue, où chaque mot fait son et sens, où l’imaginaire rend sa parcelle d’humanité à tout être, qu’il soit habitant des lieux à fuir, à rejoindre ou à rêver.