Éléonore Devillepoix

Plumes, coquilles et prises de bec


De 9 à 13 ans

L'entretien par Blandine Regreny

Librairie des Halles (Niort)

Après avoir marqué le paysage de la littérature jeunesse avec la duologie remarquée La Ville sans vent, Éléonore Devillepoix, autrice multiple, nous surprend avec un roman atypique, conte philosophique bourré d’humour. Retour avec elle sur ce roman captivant.

Jaboterne le pigeon, Sept la corneille et Chantperdu le rouge-gorge. Surprenant de voir des oiseaux comme protagonistes ! Pourquoi ce choix de mettre en scène de tels personnages ?

Après avoir publié mon premier roman, une duologie de fantasy intitulée La Ville sans vent, je me suis longuement demandé ce que j’allais bien pouvoir inventer ensuite. Je souhaitais rester dans le domaine de l’imaginaire mais j’avais peur de me répéter en écrivant de la fantasy. Puis je me suis souvenue de ma passion, étant petite, pour les histoires d’animaux (j’avais dévoré L’Appel de la forêt, Watership Down, la saga Silverwing…). L’enthousiasme de mon moi enfant-lectrice s’est communiqué à mon moi adulte-autrice. J’ai commencé à réfléchir à de possibles protagonistes à poils ou à plumes et l’idée d’un trio d’oiseaux m’est venue. Restait à trouver les espèces. La corneille s’est imposée – leur intelligence me fascine et j’ai toujours rêvé d’en avoir une apprivoisée. Le rouge-gorge a surgi ensuite car les mâles sont du genre à chanter toute l’année, hiver comme été, de nuit comme de jour, bref j’ai pu aisément imaginer un rouge-gorge flamboyant et provocateur. Il m’a fallu plus de temps pour dénicher mon dernier protagoniste. Je voulais une espèce originale, exotique. Et finalement, comme une révélation, j’ai compris que rien ne pouvait être plus passionnant que de choisir l’oiseau le plus commun du monde et a priori le plus inintéressant : un pigeon !

 

En dehors de Sept la corneille qui semble exemplaire, ce trio a tout d’une équipe d’antihéros. Qu’est-ce que la figure de l’antihéros apporte à ce roman ?

L’antihéros est un personnage plein de contrastes qui mélange le sublime et le grotesque. Pour moi, il est la figure ultime du héros, dans la mesure où il va non seulement devoir lutter contre une adversité extérieure mais aussi intérieure, en se confrontant à ses limites de caractère. Il est son propre antagoniste. Pour se vaincre lui-même, il n’a d’autre choix que de gagner en envergure – un développement très approprié pour un oiseau ! Ainsi, Jaboterne le pigeon va devoir lutter contre sa condition d’oiseau banal et méprisé. Chantperdu le rouge-gorge va devoir prouver qu’il est autre chose qu’un blanc-bec emplumé. Et Sept la corneille est une anti-héroïne aussi, à sa façon, comme les lecteurs et lectrices le découvriront.

 

On devine un travail sur la langue et sur le champ lexical ornithologique. Vous avez même créé des mots mis dans la « bouche » des oiseaux. Cela a-t-il demandé beaucoup de travail, de documentation ?

En commençant la rédaction, j’ai constaté qu’il me manquait des mots pour désigner des éléments propres à la vie aviaire, même après avoir écumé le vocabulaire ornithologique. Si un volatile avait écrit Brussailes, il aurait sans doute été frustré de ne pas trouver dans la langue française certains concepts pertinents pour lui. Par exemple, les poules font deux gloussements d’alerte bien distincts pour différencier les prédateurs aériens des prédateurs terrestres : on peut donc considérer que ces sons évoquent des mots pour lesquels il n’existe pas d’équivalents en français. Partant de cette constatation, j’ai décidé d’inventer quelques concepts pour enrichir l’univers linguistique de Brussailes – par exemple le verbe « vlopper » qui signifie ainsi « sauter en déployant à demi les ailes ».

 

Ce roman répond aux codes du conte philosophique, un genre plutôt apparenté à la littérature classique. Comment avez-vous relevé le défi de le moderniser ?

À l’origine, je n’avais pas pour but d’écrire un conte philosophique. Je souhaitais inventer une histoire avec des oiseaux, de l’action, du second degré, des rebondissements, une certaine portée politique et plusieurs niveaux de lecture. Le résultat ressemble en effet diablement à un conte philosophique. Je ne sais pas si j’ai modernisé le genre mais si c’est le cas, c’était accidentel.

 

On sent beaucoup d’humour derrière la gravité de ce texte, notamment à travers les notes qui entourent le texte. L’humour, en littérature jeunesse, c’est important selon vous ?

Je ne pense pas que l’humour soit un ingrédient indispensable, pas plus en littérature jeunesse qu’en littérature adulte, mais j’ai toujours eu plus d’atomes crochus avec les œuvres dotées d’un certain second degré. J’ai été biberonnée à l’humour littéraire anglais et cela a marqué ma façon d’écrire.

 

Après vous être fait connaître grâce à une duologie fantastique qui a rencontré un grand succès (La Ville sans vent), vous surprenez votre lectorat avec cette forme. Avez-vous d’autres surprises à nous réserver ?

Pas pour le moment ! Mais je m’essaierai sans doute à de nouvelles choses dans un prochain roman. C’est libérateur de pouvoir se dire qu’on n’est pas cantonné à un style ou à un genre particulier, qu’on ne s’adresse pas au même lectorat d’un texte à l’autre. Je suis d’ailleurs heureuse à l’idée de pouvoir offrir le léger Brussailes à des amis à qui je n’aurais pas recommandé les deux briques de La Ville sans vent – et vice versa.

 

À propos du livre

Des alliances se font et se défont, des menaces sont proférées, des communautés entières mises en danger… Bref, ce texte pourrait relever de la fantasy ou du roman d’aventures, à cela près que les personnages sont des oiseaux. Un pigeon peu vivace, un rouge-gorge trop loquace et une corneille d’une grande sagesse : voilà le trio de choc mandaté par les oiseaux de Brussailes pour déjouer les plans d’un mystérieux voleur d’œufs. Mais surtout, toute cette population de volatiles tente d’échapper à la mainmise de l’homme sur la nature. Un véritable conte philosophique classique et pourtant on ne peut plus actuel !

 

Les dernières parutions du même genre