Luce fait sa rentrée au lycée Jamet. Elle s’imagine déjà braver des interdits et nouer des amitiés inoubliables, ici à l’internat. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle et ses nouveaux amis s’apprêtent à vivre une expérience hors du commun qui les changera et les marquera à jamais. Tenez-vous prêts !
Jamet a beau être un pensionnat, il n’a rien à voir avec Poudlard ! Au contraire : peu attrayant, il ressemble à n’importe quel lycée de campagne ou de petite ville. Pourquoi ce choix plutôt que de créer un endroit mystérieux et attrayant ?
Aylin Manço - Il me semblait que la magie serait d’autant plus merveilleuse si elle apparaissait dans un endroit banal ! Et puis j’aime bien ces lieux laids et bétonnés qu’on finit par rendre beaux à force d’y accrocher nos souvenirs. Jamet est un collage de différents internats dans lesquels j’ai séjourné lors de stages ou colo, et de la résidence de mes années étudiantes.
Les personnages de votre roman développent peu à peu des capacités extraordinaires : voler, entendre les pensées, produire du froid… Certaines sont un peu étranges mais surtout très originales. Pourriez-vous expliquer comment vous sont venues certaines idées de pouvoirs ?
A. M. - J’avais depuis longtemps en tête des images qui mélangeaient érotisme et merveilleux : un orgasme qui devient lumière ; le ventre d’une fille qui brille, rose dans la nuit… Elles ont enfin trouvé leur place dans ce projet. Pour le reste, je me suis inspirée des événements traditionnellement associés aux fantômes : léviter, traverser les murs, la possession, le froid, les coupures d’électricité…
Un sage a dit qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Ceux de vos personnages ressemblent davantage à des malédictions. Pensez-vous que tous les pouvoirs deviennent des malédictions ?
A. M. - Non, pas forcément. Dans le roman, mes personnages sont les jouets d’une puissante entité qui finit par se retourner contre eux. Dans la vraie vie, je pense qu’on peut avoir toutes sortes de pouvoirs, dons ou talents, et le vivre de manière positive tant qu’on ne les laisse pas nous définir. Typiquement, quelqu’un qui est bon en maths n’est pas juste un matheux, quelqu’un de beau n’est pas juste beau, etc. Et dans tous les cas, je suis d’accord avec le sage : il faut faire attention aux gens sur qui on a du pouvoir, quel qu’il soit.
Relations toxiques, emprise, apprivoiser son désir, consentement, complexes physiques ou manque de confiance en soi… Autant de problèmes auxquels peuvent être confrontés les adolescents. Pour les lecteurs qui vous découvrent avec ce roman, pourriez-vous dire quelle thématique vous tient-il le plus à cœur de traiter dans vos romans ?
A. M. - Toutes les thématiques citées sont importantes pour moi mais si je devais en retenir une seule, ce serait celle des relations déséquilibrées. On le voit notamment dans l’amitié entre Luce, la meneuse, et Alex, sa voisine de chambre qui en pince pour elle. Au début, c’est Luce qui a le dessus et puis ça se renverse. Comment prendre soin de quelqu’un sur qui on a, qu’on le veuille ou non, de l’emprise ? Où s’arrête le jeu de séduction, où commencent les rapports de domination ?
La présence de scènes de sexe explicites dans la littérature pour ados, y compris dans le genre fantastique, est devenue ordinaire. Dans Les Éblouis, vous donnez de l’épaisseur à vos personnages en faisant partager aux lecteurs ces moments d’intimité. Quelle place donnez-vous à la sexualité dans la littérature pour adolescents et comment choisissez-vous de l’aborder ?
A. M. - Personnellement, je trouve que les scènes de sexe en fiction ado sont encore trop rares et trop timides. Pourtant, les ados ont super envie qu’on leur parle d’amour, de sexe et de plaisir : ils n’arrêtent pas de me poser des questions à ce sujet en rencontres scolaires ! Quand il y a du sexe, ça tire en général plus vers la comédie ou le drame que l’érotisme. Et c’est souvent dans le cadre d’histoires « à thème », de tranches de vie contemporaines sur la première fois, de coming out, etc. J’aimerais plus de diversité et trouver de l’érotisme en SF ou dans un roman en vers. Vivement que quelqu’un écrive l’histoire d’amour torride entre un danseur étoile et une créature extraterrestre non binaire ! (Comment s’apprivoiser quand nos corps et nos cœurs sont si différents ? Que faire de toutes ces tentacules ?) Plus sérieusement, pour moi, une bonne scène de sexe, c’est comme une bonne scène d’action : elle doit faire battre le cœur, être indispensable à l’intrigue et nous rapprocher des personnages.
Question naïve : si on vous en donnait un, quel pouvoir aimeriez-vous avoir ?
A. M. - Sans hésiter, le pouvoir d’arrêter le temps ! Je l’utiliserais pour allonger mes nuits de sommeil d’une heure ou deux.
À propos du texte
Aylin Manço nous avait déjà bluffés avec le roman Ogresse, paru aux éditions Sarbacane, et dont la lecture était intense. Ici le froid qui pénètre peu à peu les lieux nous glace les os et les pensées tumultueuses des personnages nous oppressent au fil des pages. L’auteure est talentueuse. Au travers de voix qui paraissent authentiques, elle capte notre attention, nous pousse au cœur de l’histoire et gratte des plaies d’adolescents. Au fur et à mesure que le surnaturel envahit les pages, l’histoire, pourtant pleine de mystères, devient de plus en plus réaliste. C’est ici qu’est la magie !