Jeunesse

Le Vintage : l’audace de rééditer



photo libraire

Par Gwendal Oulés

Librairie Récréalivres (Le Mans)

Face au succès de l’exposition récente du Musée en Herbe I love Martine, aux réhabilitations éditoriales diverses d’anciennes gloires de la littérature de jeunesse (Mimi Cracra, Fifi Brindacier,…), il serait facile de résumer la réédition vintage à une forme de repli sur un certain passé rassurant et une enfance fantasmée. Pourtant, le vintage est aussi à chercher à l’avant-garde de l’édition de jeunesse…

Dans l’édition pour la jeunesse, la prudence est de mise dès que le qualificatif vintage est employé, parfois à tort et à travers. L’acception la plus récente du terme datant des années 1980 en fait un synonyme de « retro » et après avoir été réservé au domaine de la mode, il désigne un objet original qui ne soit pas une imitation. Qu’un livre et en l’occurrence un album jeunesse puisse être qualifié de vintage en dit long sur l’évolution d’un secteur éditorial en plein essor. D’abord parce qu’en brouillant la frontière de l’âge du lecteur et celle entre le livre d’art et le livre jeunesse, quelques éditeurs ont opportunément fait sortir ces livres des chambres d’enfants pour rejoindre les revues de design et les catalogues d’expos sur les tables des salons. Ensuite parce que l’histoire de l’édition de jeunesse devenant un vrai sujet d’étude, l’intérêt et la nécessité d’une redécouverte d’un patrimoine encore mal connu ont conduit un certain nombre d’éditeurs à dresser des ponts entre des générations de jeunes lecteurs. À la confluence de ces deux optiques, entre captation de l’air du temps (les fameux cycles de mode) et réflexion sur l’histoire d’un catalogue (héritages et influences sur les nouvelles générations d’auteurs), des éditeurs offrent leur définition du vintage. C’est le cas notamment des éditions Didier Jeunesse, sous la houlette de Loïc Boyer, qui continue de nous épater avec sa collection « Cligne Cligne » présentée comme « l’opportunité d’une renaissance pour des albums patinés par le temps et verts comme le printemps ! ». Après la publication l’année dernière du très beau Une chanson pour l’oiseau, ils nous font part de leur dernière trouvaille, toujours sur un texte de Margaret Wise Brown mais cette fois-ci illustré par Esphyr Slobodkina : Le Petit Pompier. Cette petite merveille datée de 1938 se joue d’une symétrie graphique et narrative pleine de malice et met en scène deux pompiers, l’un grand l’autre petit. Ils vont vivre simultanément la même journée typique marquée par le sauvetage des habitants de deux maisons en flammes (l’une grande, l’autre petite comme vous aurez pu le deviner). Cet album à l’avant garde de la technique du papier découpé avance avec fraîcheur et spontanéité vers un final où le rêve devient le lieu de l’affranchissement des contraintes corporelles. En marge de la poursuite de la réédition de l’œuvre de l’immense Richard Scarry (Asticot sait tout), Albin Michel Jeunesse nous gratifie de deux publications extrêmement soignées d’une auteure/illustratrice américaine, encore méconnue en France : Dahlov Ipcar. L’Œuf mystérieux et J’aime les animaux publiés dans les années 1960 aux États-Unis sont relativement éloignés du style kaléidoscopique qui a fait sa réputation. Ils mêlent avec audace genre documentaire et narratif avec une élégance graphique imparable. Les gammes chromatiques, la vivacité du trait révèlent une fine observatrice de la nature ainsi qu’une coloriste hors pair. Sous sa couverture d’un étonnant rose pâle, L’Œuf mystérieux met en scène, après la mise en situation préhistorique de rigueur, une sorte d’enquête tentant à révéler l’origine d’un œuf non identifié. Chaque hypothèse donne lieu à un portrait de dinosaure sur de belles doubles pages où les camaïeux de verts dominent. Sa construction impeccable jusque dans son épilogue en fait un classique d’un genre où le pire fait malheureusement souvent la loi. Pour sa part, J’aime les animaux nous fait entrer tout droit dans le fantasme d’un enfant amoureux d’absolument tous les animaux, partagé entre le souhait de devenir gardien de zoo ou propriétaire d’un magasin d’animaux. L’album devient l’objet savoureux d’une description de ces deux rêves pleine de méthode à la façon d’une petite encyclopédie. Le retour à une réalité sans doute moins pléthorique nous le présente avec ses compagnons actuels bien réels. Entre décors esthétisants et planches zoologiques, les doubles pages de l’illustratrice jouent à mettre en scène une nature théâtralisée qui devrait ravir les amoureux des films de Wes Anderson. Ces éditions patrimoniales témoignent d’une même vision du vintage qui est de faire connaître au plus grand nombre des classiques méconnus aux styles intemporels. Ces éditeurs font ici tous deux preuve d’un même soin dans l’adaptation à la langue française et dans la fabrication de l’objet livre. Ils valorisent avant tout le plaisir du partage et balayent l’idée d’un livre dont la beauté serait l’unique justification. Car ces livres « vintages » sont peut-être de beaux objets (au même titre qu’une réédition d’une chaise Eames ou d’une robe Courrèges) mais ils sont avant tout de bons livres.

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